Vitiligo et image corporelle : une étude inédite éclaire les répercussions invisibles
En début d’année, nous avions relayé un appel à participation pour une étude menée par Emmy Thevenon, alors étudiante en psychomotricité à l’ISRP de Vichy. Atteinte elle-même de vitiligo généralisé, elle a consacré son mémoire de fin d’études à une question peu abordée mais cruciale : l’impact du vitiligo sur l’image corporelle. Merci à toutes les personnes qui avaient répondu à cette étude, et voici ce que son travail révèle.
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Une insatisfaction corporelle significative
L’étude de Emmy Thevenon repose sur une comparaison entre deux groupes : des adultes atteints de vitiligo généralisé (91 personnes), et un groupe témoin sans vitiligo (66 personnes), tous âgés de 25 à 59 ans. Les résultats doivent être interprétés avec prudence de par le faible échantillon et les biais d’interprétation possible.
Les résultats sont parlants néanmoins : 75,4% des personnes atteintes de vitiligo déclarent ne pas aimer leur corps, contre seulement 19% dans le groupe témoin, soit un écart statistiquement significatif. Autrement dit, le vitiligo, bien que bénin physiquement, peut générer une souffrance psychocorporelle importante pour les personnes atteintes, marquée par un sentiment d’insatisfaction fort.
Concernant la perception corporelle (la manière de ressentir son corps dans l’espace et dans la vie quotidienne), les résultats montrent des différences modérées mais constantes :
- Les personnes atteintes de vitiligo se sentent un peu moins résistantes (score moyen de 3,08 contre 3,42) ;
- Leur perception de l’attirance corporelle est également en retrait (3,18 vs 2,97) ;
- La perception d’un corps “plein”, chaleureux ou source de plaisir est diminuée.
Ainsi, les personnes concernées par le vitiligo ont tendance à percevoir leur corps comme plus fragile, mais pas totalement dégradé pour autant : certains indicateurs comme la perception de la propreté ou l’adéquation avec l’âge restent stables, bien que d’autres révèlent une tendance à considérer le corps comme moins expressif, moins séduisant et moins apaisant. Cela suggère que le regard de l’autre joue un rôle plus déterminant que le regard sur soi-même.
L’étudiante précise : « On remarque une tendance à vouloir cacher son corps, que l’on retrouve aussi véritablement chez certains individu avec l’utilisation de maquillage pour camoufler par exemple. »

Par ailleurs, les personnes atteintes de vitiligo interrogées dans l’étude décrivent une inhibition dans l’exposition de leur corps : une tendance à cacher leur peau, à percevoir leur corps comme “moins expressif” ou “moins érotique”. Ces données rejoignent d’autres recherches internationales qui font état d’une anxiété sociale accrue, de difficultés relationnelles ou sexuelles chez les personnes atteintes de vitiligo.
L’impact dépasse donc l’esthétique : il touche à l’identité, à l’intimité, au lien aux autres et à la façon de se sentir “entier”.
Enfin, un point fort de l’étude indique que les personnes atteintes de vitiligo ne perçoivent pas leur corps comme “sale” ou “impur”, malgré les stigmates visibles. Cela indique que les préjugés sociaux ne sont pas forcément intériorisés, du moins sur ce plan. Cette nuance est importante : elle montre qu’il est possible de construire une image de soi plus apaisée, en dépit du regard extérieur.

Pour une approche psychomotrice du vitiligo
Dans son mémoire, Emmy Thevenon précise que le vitiligo, au-delà de sa dimension cutanée, devrait être considéré comme une expérience corporelle globale, engageant le regard, le toucher, la représentation de soi et le lien à autrui. Elle précise : « La peau est unique (vitiligo, grain de beauté), porteuse des traces (cicatrices, maquillage, tatouage), de notre vécu et identité. »
Ce travail appelle à une meilleure reconnaissance du vitiligo dans les champs de la santé mentale et la psychomotricité (approche dite « hollistique », c’est-à-dire qu’elle regroupe toutes les sphères de l’individu : sensorialité, psyché, motricité, social, cognition…). Il met en lumière l’importance d’accompagner les patients dans une reconquête de leur corps, via des approches corporelles, sensorielles et affectives.
Comme le souligne la jeune diplômée : « Le vitiligo paraît modifier durablement la perception que l’on a de son corps. Il faut pouvoir proposer des outils d’accompagnement corporel qui aident à recréer une relation apaisée à soi. »
Cette étude, bien qu’exploratoire, constitue une base inédite et précieuse pour mieux comprendre l’impact invisible du vitiligo sur l’image de soi. Elle confirme ce que de nombreux témoignages avaient déjà suggéré : le vitiligo ne s’arrête pas à la peau. Il touche aussi le cœur, l’estime de soi, la relation aux autres – et mérite, à ce titre, une prise en charge globale et empathique.

Merci encore à toutes les personnes de notre communauté ayant répondu à ce questionnaire. Ce travail contribue à faire avancer la compréhension du vitiligo dans ses dimensions psychiques et sociales – et à rendre visible ce qui ne l’est pas toujours.